L’équarrissage : une compétence séculaire pour rebâtir la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Le 15 avril 2019, un incendie se déclare dans les combles de la cathédrale Notre-Dame de Paris détruisant sa toiture, sa flèche et sa charpente. Au même moment, en Dordogne, un groupe de charpentiers, entrepreneurs chez Coop&Bat et membres de l’atelier Copeaux Cabana, assiste à cette destruction, traversé par l’envie d’œuvrer pour rebâtir l’édifice. 

Forts de leurs savoir-faire traditionnels, huit entrepreneurs* vont avoir le privilège de participer à la reconstruction de “la forêt”, cette charpente mythique, ainsi nommée en raison de la centaine de fermes qui la composent et du nombre de poutres, chacune issue d’un chêne différent. Deux d’entre eux, Yogan Bredel et Martin Lorentz, nous racontent ce chantier hors norme qu’ils obtiennent à la faveur d’une compétence tout aussi singulière : l’équarrissage à la hache.

Copeaux Cabana & la charpente en bois de brin

Ancien terme de charpente, le bois de brin désigne un brin d’arbre, une bille de bois, façonnée par la main du charpentier. Ce savoir-faire, les membres de l’atelier Copeaux Cabana, une dizaine d’artisans animés par la même passion du bâti ancien, le perpétuent en Dordogne et en Corrèze.

Leur travail prête une attention particulière à l’esthétique et aux formes organiques. Les chantiers qu’ils réalisent ont pour caractéristiques l’utilisation de bois courbes, d’assemblages traditionnels, d’essences de bois locales (chêne, châtaignier, peuplier) et relèvent de techniques anciennes telles que l’équarrissage à la hache. Cette technique manuelle de façonnage du bois consiste à équarrir (rendre la section carré) un brin d’arbre à la hache.

Déjà employée au 13è siècle, lors de la construction de la charpente de Notre-Dame, l’équarrissage permet de mieux suivre le fil du bois et de préserver la solidité des poutres.

“Depuis l’incendie, on en parlait, on se disait qu’on irait. On avait envie d’œuvrer pour rebâtir cette cathédrale. Mais on ne savait pas trop comment… La “forêt” de la cathédrale Notre-Dame de Paris est une charpente mythique en France. Cette charpente était singulière car il restait peu de charpentes intègres du 13e siècle. Beaucoup ont brûlé, on été modifiées ou renforcées avec des charpentes en métal. Celle-là était unique.” explique Martin.

Puis, absorbés par leurs autres travaux, ils oublient petit à petit l’incendie. Trois années s’écoulent jusqu’à ce que Notre-Dame se rappelle à eux : “Ce chantier s’est présenté à nous comme une opportunité à saisir.”

Constituer une équipe

En juillet 2022, les Ateliers Perrault (basés en Anjou), experts des chantiers complexes de monuments historiques, et les Ateliers Desmonts (basés dans l’Eure), PME familiale reconnue pour son savoir-faire en taille manuelle, contactent Martin, Rémi, Thomas et Yogan pour répondre aux appels d’offres lancés par l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, maître d’ouvrage du chantier, sur la base des études réalisées par la maîtrise d’œuvre. Le chantier consiste à restituer les charpentes médiévales du chœur et de la nef de la cathédrale (soit la quasi-totalité de la charpente à l’exception de la charpente de la flèche et du transept, qui date du 19e siècle).

L’équipe de charpentiers réalise une vidéo d’équarrissage et aide les Ateliers Perrault, mandataires, et les Ateliers Desmonts, cotraitants, à constituer le dossier, en mettant en valeur leurs techniques de piquage et d’équarrissage.

Une fois le marché attribué, la réponse ne tarde pas à venir. En septembre 2022, la petite équipe de charpentiers de Coop&Bat se voit confier une tâche cruciale pour la suite du chantier : transmettre leur savoir-faire en équarrissage à la hache aux équipes des Ateliers Perrault.

Une formation et un savoir-faire unique

Pendant deux semaines, Yogan Bredel, Martin Lorentz, Rémi Hubert et Thomas Montagut se consacrent à former les artisans angevins à cette technique ancestrale. “Cette méthode, bien qu’exigeante, s’est imposée comme la seule capable de répondre aux défis techniques et esthétiques posés par la reconstruction de la charpente.” explique Martin.

La décision de recourir à l’équarrissage à la hache est au centre de cette restauration. Elle a été grandement influencée par Rémi Fromont, un des trois architectes en chef maîtres d’œuvre de la restauration de la cathédrale, dont la connaissance intime de la charpente de Notre-Dame a été déterminante. En 2014, avant même l’incendie, Rémi Fromont et son confrère Cédric Trentesaux avaient consacré leur thèse de doctorat à l’étude minutieuse de cette charpente, qu’ils avaient répertoriée pièce par pièce. Cette expertise a permis à Rémi Fromont de comprendre que pour respecter l’intégrité et l’authenticité de l’ouvrage, il était essentiel d’utiliser des techniques traditionnelles comme l’équarrissage à la hache.

Un travail de précision

En étroite collaboration avec Rémi Fromont, les entrepreneurs de Coop&Bat ont pu alors valoriser cette méthode ancienne, qui permet de suivre au plus près le fil du bois, préservant ainsi la solidité et la durabilité des poutres. Ce choix répondait également à une exigence esthétique : restituer fidèlement l’apparence originale de la charpente, telle qu’elle avait été conçue au XIIIe siècle. Pour les charpentiers, le travail aux côtés d’un architecte aussi impliqué a été une source d’inspiration, renforçant leur conviction que les savoir-faire traditionnels ont toute leur place dans les projets architecturaux contemporains.

Après la formation, les charpentiers de Coop&Bat poursuivent leur travail sur le chantier. L’équarrissage réalisé pour Notre-Dame est ce que les artisans appellent un « équarrissage mixte ». En pratique, cela signifie que deux faces des poutres étaient préalablement sciées mécaniquement, avant que les charpentiers n’interviennent pour équarrir les deux autres faces à la hache. 

Les bois utilisés pour cette reconstruction sont eux aussi exceptionnels. Issus de forêts gérées durablement par l’ONF, ces chênes (800 chênes pour la plupart à peine centenaire, à l’exception d’une quinzaine bicentenaires qui ont servi d’entraits et à la quille) proviennent de massifs forestiers d’exception comme la forêt de Tronçais. Chaque poutre, mesurant jusqu’à 16 mètres de long, représente un travail de précision et de passion, où chaque coup de hache est guidé par le respect du matériau et du savoir-faire ancestral.

Un chantier, une opportunité unique

Pour nos charpentiers, ce chantier a été bien plus qu’une simple mission. C’était une occasion unique de démontrer la pertinence et la valeur de techniques anciennes dans des projets contemporains de grande envergure. « On est seulement une cinquantaine en France à avoir maintenu l’équarrissage à la hache », explique Martin Lorentz. Cette expertise rare a permis à leur petite équipe de s’imposer comme des acteurs incontournables sur ce chantier hors norme, aux côtés des Ateliers Perrault et Desmonts.

En travaillant main dans la main avec des charpentiers venus de toute la France, mais aussi d’Amérique du Nord, du Danemark et d’Argentine, les membres de notre coopérative ont non seulement contribué à la renaissance d’un monument historique, mais ont aussi renforcé et élargi leur réseau professionnel. « Ce grand chantier valide et fait la promotion des techniques qu’on aime, la charpente en bois de brin », souligne Yogan Bredel.

Un héritage à pérenniser

La reconstruction de la charpente de Notre-Dame de Paris aura des répercussions bien au-delà de ce chantier. Elle marque une étape importante dans la reconnaissance et la transmission des savoir-faire artisanaux, tout en ouvrant la voie à de nouvelles collaborations et à des projets futurs. Pour les charpentiers de Copeaux Cabana, l’ancrage profond de leur pratique dans l’histoire et l’écologie se traduit par une gestion raisonnée des forêts et une valorisation des techniques anciennes, en harmonie avec les défis du monde contemporain.

Ce chantier a également été marqué par des moments de profonde émotion. La pose du bouquet marquant la fin de la reconstruction de la charpente du chœur, le 12 janvier 2024, un symbole de la réussite collective, et l’hommage rendu à Thomas Montagut, un membre essentiel de l’équipe qui nous a quitté pendant le chantier, resteront gravés dans la mémoire de tou·tes celleux qui ont participé à cette aventure.

En redonnant vie à la « forêt » de Notre-Dame, nos entrepreneurs ont non seulement relevé un défi technique de taille, mais ont aussi laissé une empreinte durable dans le patrimoine bâti français. 

Leur travail, fruit d’une technique séculaire, symbolise la force et la résilience d’un savoir-faire qui continue de façonner les chefs-d’œuvre architecturaux d’aujourd’hui et de demain.

Ils ont participé au chantier : 

  • Yogan BREDEL
  • Martin LORENTZ
  • Rémi HUBERT
  • Mathieu AYNAUD
  • Nicolas VODRAZKA
  • Rémi DELATOUCHE
  • Menthé KASMI
  • Thomas MONTAGUT

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