Sur le plateau de Millevaches, au cœur des landes et des tourbières, une cabane pastorale attire les regards. Symbole de résistance face à l’exode rural, à la déprise agricole, et aux défis environnementaux, le petit habitat mobile conçu pour les berger·es qui veillent sur ce territoire fragile, s’avère être bien plus qu’un simple abri. Son bâtisseur, Mathieu Aynaud, charpentier au sein de notre coopérative, a dû conjuguer innovation technique, matériaux locaux et respect du territoire pour répondre aux enjeux de ce projet.
Un parcours sculpté par le bois et la recherche de sens
Mathieu n’a pas toujours été charpentier. Avant de se consacrer au travail du bois, il passe une partie de sa jeunesse sur les bancs de la fac, où il étudie les sciences humaines. Mais à 28 ans, après des années d’étude et de petits boulots, il choisit de se reconnecter à quelque chose de tangible, de réel.
« J’avais besoin de retrouver du concret, de travailler avec mes mains. Le bois, c’était une évidence, un matériau qui me passionnait déjà adolescent. »
En 2008, son CAP Charpente en poche, Mathieu se lance dans les chantiers. Il embrasse le métier sous le signe de l’insolite, au sein d’une entreprise pionnière dans la construction de cabanes perchées. Pendant trois ans, il parcourt la France, bâtissant des refuges suspendus pour particuliers ou professionnels du tourisme. En 2011, il décide de voler de ses propres ailes et s’installe à son compte en Dordogne. Il travaille sur des rénovations de charpentes, des terrasses ou encore des projets uniques d’équarrissage, une technique ancestrale qu’il affectionne particulièrement et qui l’a récemment conduit à œuvrer pour la reconstruction de la cathédrale Notre Dame de Paris.
À la recherche d’une forme juridique “meilleure que celle de l’auto-entreprise”, il rejoint notre coopérative en 2017. Depuis 3 ans, Mathieu a posé ses outils sur le plateau de Millevaches. Ce territoire particulier, marqué par son absence historique de charpente traditionnelle, le conduit vers des projets adaptés à son environnement.
Une cabane pour garder les paysages ouverts
Le projet de la cabane pastorale naît d’un besoin urgent : celui de soutenir le pastoralisme, une pratique indispensable à la préservation des tourbières du plateau. Ces espaces humides, essentiels pour la biodiversité et la régulation climatique, sont menacés par l’abandon des pâturages et l’enrésinement, cette prolifération des monocultures de sapins qui acidifient les sols.
« Le pastoralisme, c’est une cohabitation entre les hommes et leur milieu. Sans les troupeaux, les milieux se ferment, les ronces et les bouleaux envahissent les tourbières, et les paysages changent. Cette cabane, c’est une réponse concrète à ce défi. »
Porté par le Parc Naturel Régional (PNR) de Millevaches et soutenu par l’association pour le pastoralisme sur la montagne limousine (APML), le projet vise à offrir un habitat décent et mobile aux berger·es, salarié·es des groupements pastoraux locaux. Mathieu, en collaboration avec Mathieu Bonnemaison, collègue charpentier de Coop&Bat, obtient le marché en répondant à un appel d’offre longtemps resté sans réponse.
Une construction pensée pour le terrain
Les deux entrepreneurs réalisent ensemble la phase de conception, et relèvent le défi d’un cahier des charges exigeant. La cabane doit être mobile, autonome en énergie et en eau, et suffisamment confortable pour permettre aux berger·es de vivre et travailler dans de bonnes conditions.
Construite en peuplier, une essence locale choisie pour sa légèreté et son faible impact sur les sols, l’ossature de la cabane repose sur un châssis agricole, capable de circuler sur les chemins escarpés du plateau à l’aide d’un tracteur. Elle est équipée de panneaux solaires, de batteries et de cuves de récupération d’eau de pluie, garantissant une autonomie de plusieurs jours.
« On a voulu construire un habitat simple, mais robuste et respectueux de l’environnement. Le peuplier pousse vite et a beaucoup moins d’impact sur les sols, contrairement aux résineux qu’on voit partout ici. »
Pour le bardage intérieur et extérieur, Mathieu collabore avec Ambiance Bois, une société anonyme à participation ouvrière, spécialisée dans le mélèze.
« Ambiance Bois, c’est plus qu’un fournisseur. C’est une entreprise emblématique du territoire, à participation ouvrière, qui partage nos valeurs. Travailler avec eux, c’était évident. »
Valoriser un métier trop souvent oublié
Au-delà de son aspect technique, la cabane pastorale est une réponse à une problématique sociale. Pendant trop longtemps, les berger·es ont été relégués à des logements précaires, parfois indignes. Cette cabane, avec ses 15 m² aménagés et ses équipements modernes, leur redonne une place centrale dans la gestion des territoires.
« Les berger·es nous disent souvent qu’ils sont moins bien logés que leurs troupeaux. Cette cabane, c’est une forme de reconnaissance pour leur métier. »
Mais la cabane répond aussi à une menace récente : celle du loup, désormais présent sur le plateau. Le prédateur qui met en danger les troupeaux, rend la présence humaine auprès des bêtes indispensable.
« Grâce à cette cabane, les berger·es peuvent rester sur place et protéger leurs troupeaux. On a déjà constaté que là où les berger·es étaient présent·es, il n’y a pas eu d’attaques. C’est une problématique nouvelle, mais cette construction permet d’y répondre. »
Un modèle à reproduire
Inaugurée en novembre 2024, la cabane a été accueillie avec enthousiasme par les berger·es, le PNR et les habitants du plateau. Ce prototype pourrait bien inspirer d’autres régions confrontées aux mêmes défis.
« D’autres parcs naturels régionaux s’intéressent à ce modèle. Ici même, il y a déjà un intérêt pour la construction de nouvelles cabanes pastorales. »
Pour Mathieu, cette réalisation est une fierté personnelle autant qu’une contribution à la préservation d’un mode de vie et d’un territoire unique.
« Ce projet a du sens parce qu’il est à la fois social et écologique. Il aide les berger·es à mieux travailler, tout en luttant contre les monocultures et en maintenant nos paysages vivants. »
Entre tradition et innovation, un projet engagé
À travers cette cabane pastorale, Mathieu ne se contente pas de bâtir un abri : il participe à la redéfinition des liens entre l’homme, son métier et son milieu. Avec ses matériaux locaux, son approche coopérative et son respect de l’environnement, ce projet offre l’exemple inspirant d’un habitat mobile durable et engagé.